Depuis le début de l’événement sanitaire que nous traversons actuellement, la retenue de (quasiment) toutes les oppositions mérite d’être saluée : la plupart des acteurs publics se rangent derrière le respect des consignes et laissent de côté les critiques qu’ils pourraient faire sur la manière dont la crise a été gérée. Tout au plus nous permettons-nous parfois quelques suggestions sur les évolutions à souhaiter pour la situation.
Le temps de l’inventaire viendra, et il y aura certainement des choses à dire sur le manque de préparation, d’anticipation, la multiplication des injonctions contradictoires et l’incapacité du gouvernement à comprendre qu’en s’arc-boutant sur ses propres priorités (tenue des municipales, ré-ouverture des chantiers du BTP, déplacements de pure communication du président…), il donne l’impression qu’on pourrait transiger avec le confinement. Or, à l’issue de près de 3 ans de crises sociales à répétition, j’ai un scoop pour l’exécutif : tout le monde ne partage pas les mêmes priorités, et si le gouvernement s’autorise ces petites déviations, d’autres risquent de comprendre qu’ils peuvent s’autoriser leurs propres écarts.
Cette union nationale est indispensable, elle doit tenir le temps de gérer l’urgence. Mais, pour qu’elle perdure, il ne suffit pas d’avoir une opposition responsable, il est également indispensable que le gouvernement, l’exécutif et la majorité jouent le jeu. Sur les parvis de certaines églises circule parfois cette mauvaise plaisanterie (ironique) au sujet du dialogue inter-religieux : « l’œcuménisme, c’est que les autres adoptent ma religion ». Il en va de même pour l’union nationale : cela ne signifie pas que tout le monde adhère de force aux idées de la République En Marche.
En ce sens, le réflexe du gouvernement à accélérer son programme de détricotage des protections sociales constitue la principale brèche dans l’union nationale. Si l’on n’y prend garde, la fissure va s’accentuer à grande vitesse. La rapidité de l’exécutif à mettre sur la table le sujet des 35h, des congés payés et de la durée maximale de travail laisse pantois. Il s’agit soit de cynisme, soit de bêtise : en l’absence de davantage d’information, il n’est pas possible de trancher sans faire de procès d’intention. L’hypothèse du cynisme revient à considérer que nos dirigeants profitent de la crise pour accélérer leur programme (alors même qu’il repose sur un paradigme de mondialisation dérégulée que le coronavirus fait voler en éclat). L’hypothèse de la bêtise peut être illustrée par l’aphorisme de Maslow : « si le seul outil dont vous disposez est un marteau, vous tendez à voir tout problème comme un clou ». Pour une idéologie qui considère que la régulation entraîne une rigidité qui est la source de tous nos maux, il peut être tentant de réagir à n’importe quelle crise par un assouplissement du marché du travail, même s’il n’y a aucun rapport !
Le gouvernement fait une autre erreur en continuant à penser pourvoir régler les problèmes par de la communication magique : il ne suffit pas d’affirmer haut et fort qu’il n’y a pas de pénurie de masques et qu’ils ne servent à rien pour que ce soit vrai. Il ne suffit pas de dire qu’il n’est pas nécessaire de pratiquer des tests pour occulter la recommandation inverse de l’OMS ainsi que l’expérience des rares pays qui ont réussi à contenir efficacement la pandémie. Enfin, le président lui-même oublie un peu vite le contexte de crise de confiance envers sa personne dans lequel cette épidémie prend place : non, il ne suffit pas de faire un discours flou plein d’élans lyriques aux accents de spiritualité de supermarché pour que chacun comprenne les enjeux du confinement et en envisage les conséquences pratiques dans sa propre vie.
Un dernier point mérite notre attention : l’union nationale ne tiendra qu’à condition de trouver un juste rapport à l’autorité, et notamment aux forces de l’ordre chargée de vérifier le respect des consignes de sécurité. Elles sont à rude épreuve depuis plusieurs mois, et constituent déjà l’instrument malheureux de la défiance d’une grande partie de la population vis-à-vis du pouvoir en place. Là encore, la crise sanitaire ne survient pas sur un terrain vierge : le fait qu’elle intervienne dans un contexte grave de diminution progressive et systématique des libertés individuelles depuis plusieurs années rend plus difficile de trouver, sur ce terrain, des marges de manœuvre justes et efficaces, alors même que la restriction temporaire de la liberté d’aller-et-venir est, pour une fois, pleinement justifiée.
De ce point de vue, il remonte du terrain des témoignages d’excès de zèle de la part de la police et de la gendarmerie qui paraissent particulièrement inquiétants. Si le panier est trop plein, on est accusé de piller les magasins et de provoquer la pénurie. S’il est trop vide, c’est au contraire le signe que les courses ne sont qu’un prétexte. Sans parler des remarques qualitatives sur le contenu du caddie : ici c’est la pertinence de la présence de telle boisson ou de tel paquet de gâteau qui est questionnée par la police, là ce sont carrément les protections périodiques qui ne sont pas considérées par la gendarmerie comme des produits de première nécessité. S’il faut reconnaître l’extrême difficulté du travail des forces de l’ordre et l’enjeu majeur de faire respecter le confinement, il faut aussi garder en tête qu’il est crucial d’acquérir, dans la durée, le consentement de la population à cette situation contraignante, donc de ne pas démultiplier le sentiment d’injustice et de préjuger de la bonne foi de ceux qui sortent munis d’une attestation en bonne et due forme.
Bref, restons unis coûte que coûte, respectons les consignes même lorsqu’on les estime trop tardives ou pas assez précises, ne refaisons pas sans arrêt le décompte des atermoiements passés. Mais demandons également au gouvernement qu’il adopte lui-même, enfin, une vraie posture d’union nationale, en sortant des réflexes partisans auxquels il cède, et en encadrant plus sereinement le travail de vérification sur le terrain du respect des dispositions du confinement. Car c’est dans la durée que nous devrons tenir.
Christophe Jadeau
Statisticien